- Inscrit
- 31 Décembre 2018
- Messages
- 591
- J'aime
- 1,130
- Points
- 148
- Je suis
- Un homme
Hors ligne
Le martyr d'Anne Frank
J'aurais voulu te dire: "Accroche toi, chère Anne!
Que ta lueur sitôt ne meure au désespoir
Dans cet antre du diable où les démons ricanent
Devant le long supplice du peuple du Savoir.
Lorsqu'ils vous ont trouvé dans l'annexe tranquille,
Tous ensemble apeurés par les cris impromptus,
Tu devais te blottir vers un papa fébrile
Qu'ils allaient t'arracher, que tu n'as plus revu...
Du camp de Westerbork, aux longs travaux pénibles,
Vous avez surmonté trois jours dans un convoi
Sans pouvoir vous coucher, en récitant la Bible,
Au milieu d'excréments, de sueurs et de d'effroi.
Puis ce fut l'antichambre effarée où des hères
Sont triés, dépouillés, avilis sous les coups,
Sous les lamentations des enfants loin des mères,
Et l'acre odeur de chair des cheminées qui bouent!
Dans cet enfer d'Auschwitz, si dur fût de survivre
Que tu te rapprochas de ta mère et ta soeur,
Elles que tu fuyais autrefois pour ton livre,
Ton cher journal intime. Où donc est ce bonheur ?
Si tu pouvais trouver un moment pour écrire !
Si le don de tes mots, éveillant ton esprit,
En ce corps épuisé savait encor' décrire
La pureté d'un chant qui cherche le répit.
Mais non ! Le cerveau fixe une obsession unique:
Manger et se vêtir dans le froid de l'hiver,
Moins quarante degrés à supporter l'inique
Et lent déclin du corps, quand l'âme a trop souffert.
Gagner encore un jour sur ce temps immobile,
Espérer un quignon de pain ou un pull chaud.
Au creux des tragédies, la raison se défile
Et l'animal en nous se bat pour un peu d'eau !
Parce que le destin n'avait pas assez d'ombre,
Inhumain,il frappa ton coeur chétif et lourd
En éloignant de toi celle qui parut sombre
À tes rêves d'enfant. Comme il te parut sourd
Ce Dieu pour qui Margot priait en vain sans cesse
Le retour d'une mère et d'un père? Ô chère Anne,
Les poux qui te rongeaient n'avaient pas la caresse
D'une main apaisante au soir où tout se fane !
Parmi les gémissants squelettes de Bergen,
Sur la paillasse en bois, les deux soeurs se serrèrent
Pour affronter ton sort indicible, Belsen !
Mais où donc étiez - vous , Archanges de la Terre ?
De ce lit d'infortune, un inerte fardeau
Tomba sans trop de bruit, emportant dans un souffle
Comme un lambeau de vie, une paix pour Margot
Et l'oppression, soudain, de sa soeur qui s'essouffle !
J'aurais voulu te dire: " Accroche toi, chère Anne !
La délivrance est proche et ton père t'attend.
Il ne reste de toi, merveilleux filigrane,
Que ce journal où tout de ton être est vivant......
Peypin, 2 novembre 2019