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Souvenirs de Martha-Catherine
Je n’ai pas toujours été comme ça vous savez. Cette vieille femme plantée là comme un candélabre à regarder la mort passer jusqu’à ce qu’elle s’arrête sur moi. Elle m’a oubliée la mort. Je l’ai implorée souvent pourtant. Mais quand elle se fait sourde alors on s'incline, on s'incline on s'incline... Elle ne me fait pas peur vous savez, elle ne m’a jamais fait peur. Je l’attends.
Hier je me suis arrêtée un instant sur mes mains, je fixais la fine griffure de mon chat, elle est encore toute douloureuse, quand j’ai vu passé dans l'encadrement de ma funeste fenêtre un énième enterrement. Ma maison n’est pas très loin du cimetière.
Il s’est mis à pleuvoir et j’ai laissé tomber la cicatrice qui coure le long de mon index droit. Ce qu’elles étaient jolies ces mains de caresses, sans tache, sans nervure, sans sécheresse. J’ai vu le monde vous savez, celui des grandes joies, des grandes peines et des grandes désillusions aussi. C'est aussi ça vivre.
J’étais cantatrice dans une autre vie, soprano colorature. La flûte enchantée, La Tosca, Carmen, Nabucco... à l’époque où les photos n’existaient qu’en noir et blanc. Et puis un jour l’accident, le cruel, l’indicible accident. Plus de voix. D’abord un chat dans la gorge qu’on essaie de chasser, qu’on réussit à chasser mais qui revient et qui revient sans cesse.
Et puis la brisure définitive. Je ne suis plus rien depuis des années. Oh comme on n’est vite oublié.
Est-ce que j’ai été heureuse malgré tout ? Est-ce que je suis heureuse malgré tout ? Je ne sais pas répondre à cette question. J’ai vécu c’est tout.
Mon dernier mari s’est éteint l’année dernière le jour de mon anniversaire, quel drôle de cadeau. Il a toujours aimé me faire des surprises….. Je crois que j’ai cessé de vivre pour la seconde fois.
Le chat qui dort sur mon châle, c’est lui qui me l’a offert avant qu’il ne parte au pays d'où l'on ne revient pas.
Je dis mon dernier parce qu’il y a eu Pierre-Edouardo pendant 10 ans. Oui là j’étais heureuse, je réponds à la question maintenant. C’était un homme charmant, il n’avait qu’un défaut il n’aimait que les femmes jeunes et jolies en oubliant qu’elles pouvaient vieillir - en oubliant d’ailleurs lui-même qu’il pouvait vieillir. Pauvre Pierre-Edouardo, il vieillit seul avec ses deux chiens. Nous sommes restés fidèles à notre amitié d’ex.
Et puis j’ai eu… oh non ! J’avais dit que je ne prononcerai plus son nom.
Z.
