Poème J'ai revu mon père et il n'avait pas pris une ride.

Le p'tit gamin tend la main au vieillard hargneux
assis près du fleuve
et le vieillard dit:
"Que veux tu me prendre, toi aussi, petit, je n'ai plus rien.
Plus rien à moi.
Plus le temps.
Plus l'envie.
Plus l'amour, Plus la moindre rancune. Ni même peur.
Le petit gamin approche encore sa main, plus près.
Car il ne veut pas prendre. Juste donner. C'est ce qu'il dit au vieillard.
Et le vieillard dit au gamin.
-Mais il n'y a rien dans ta main !
Et le gamin répond.
Mais c'est ma main que je veux vous donner.
Alors le vieillard regarde mieux cette main. Et le gamin.
Il prend cette main. Dans la sienne.
Marche avec le gamin,
Le gamin c'est celui qu'il a été.
Il l'a reconnu, maintenant.
Ils marchent tout les deux vers le fleuve.
Le gamin l'aide à marcher.
Comme le font les souvenirs.
Ils marchent ensemble, le long du fleuve.
Un vieillard et ses souvenirs.
Un vieillard seul, finalement.
En train de se parler.
Une main dans sa poche et l'autre le long de son pardessus
Un peu décollé.
L'automne est une boite à idée.
L'hiver a mis la sienne dedans.
Pleine de feuilles mortes et de dents cassées.
Et un homme.
Un vieil homme.
Sur le sentier.
Qui les conduit à la ville
une rue après l'autre
cramponnée aux murs coiffés de tuiles
puis le gamin chuchote quelque mots dans l'oreille du vieillard
et le vieillard retrouve le sourire
rentre devant le magasin de bonbon
achète des crocodiles en caramel bleu
des singes en guimauve rouge
et des bananes noires en sucre de réglisse
et rentre aussi dans le magasin de jouet
et prend une boite cerf-volant et un train électrique
et une carabine en plastique
le gamin chante et danse
dit qu'il à faim
et le vieillard à faim lui aussi
ils grimpent sur les toits de la ville
attrapent des nuages à pleine mains
les avalent en riant
les chaussures pleines d'eau de pluie
le vieillard
et le gamin
une dernière fois
tandis que les sirènes retentissent
dans le dernier morceau encore en vie
de mon souvenirs.