« Ille»
Cet enfant attendu avec beaucoup d'amour
Est enfin arrivé, la valise était prête,
Grenouillères, bonnets doux comme du velours,
Couvriraient ce petit, c'était un jour de fête.
La mère et son enfant vont bien et sont heureux,
Madame, tout va bien, il est beau comme un ange !
C'est bien là le problème, un ne peut être deux
Il va falloir trancher car sinon ça dérange !
Alors cet ange blanc devient presque un démon,
Dès lors les médecins en leur âme et conscience
Persuadés bien sûr de faire le choix, le bon,
Décident donc pour lui de sa propre existence
Pour régler ce dilemme ou le rose ou le bleu ?
Or en les mélangeant peut naître un joli mauve
Laissez-leur plus de temps il n'y a pas le feu
Mais pourquoi le cacher comme un secret d'alcôve ?
Parce que la société n'aime pas l'à-peu-près ;
Alors encore enfant déjà on les mutile
Car bien évidemment il leur faut être prêts
À affronter la vie, sa morale futile.
Je ne peux les juger... il leur faut nous aider ;
Souvent le pire choix est celui fait par d'autres,
Je souhaite vraiment qu'ils puissent décider
Ces enfants de leur corps qui pourrait être nôtre.
Cette dramarurgie de l'ambiguité mérite ce chant !
Bien à toi Pourquoipas
jj
( en deux post car trop long)
Les Chants de Maldoror/Chant II
Là, dans un bosquet entouré de fleurs, dort l’hermaphrodite, profondément assoupi sur le gazon, mouillé de ses pleurs. La lune a dégagé son disque de la masse des nuages, et caresse avec ses pâles rayons cette douce figure d’adolescent. Ses traits expriment l’énergie la plus virile, en même temps que la grâce d’une vierge céleste. Rien ne paraît naturel en lui, pas même les muscles de son corps, qui se fraient un passage à travers les contours harmonieux de formes féminines. Il a le bras recourbé sur le front, l’autre main appuyée contre la poitrine, comme pour comprimer les battements d’un cœur fermé à toutes les confidences, et chargé du pesant fardeau d’un secret éternel. Fatigué de la vie, et honteux de marcher parmi des êtres qui ne lui ressemblent pas, le désespoir a gagné son âme, et il s’en va seul, comme le mendiant de la vallée. Comment se procure-t-il les moyens d’existence ? Des âmes compatissantes veillent de près sur lui, sans qu’il se doute de cette surveillance, et ne l’abandonnent pas : il est si bon ! il est si résigné ! Volontiers il parle quelquefois avec ceux qui ont le caractère sensible, sans leur toucher la main, et se tient à distance, dans la crainte d’un danger imaginaire. Si on lui demande pourquoi il a pris la solitude pour compagne, ses yeux se lèvent vers le ciel, et retiennent avec peine une larme de reproche contre la Providence ; mais, il ne répond pas à cette question imprudente, qui répand, dans la neige de ses paupières, la rougeur de la rose matinale. Si l’entretien se prolonge, il devient inquiet, tourne les yeux vers les quatre points de l’horizon, comme pour chercher à fuir la présence d’un ennemi invisible qui s’approche, fait de la main un adieu brusque, s’éloigne sur les ailes de sa pudeur en éveil, et disparaît dans la forêt. On le prend généralement pour un fou. Un jour, quatre hommes masqués, qui avaient reçu des ordres, se jetèrent sur lui et le garrottèrent solidement, de manière qu’il ne pût remuer que les jambes. Le fouet abattit ses rudes lanières sur son dos, et ils lui dirent qu’il se dirigeât sans délai vers la route qui mène à Bicêtre. Il se mit à sourire en recevant les coups, et leur parla avec tant de sentiment, d’intelligence sur beaucoup de sciences humaines qu’il avait étudiées et qui montraient une grande instruction dans celui qui n’avait pas encore franchi le seuil de la jeunesse, et sur les destinées de l’humanité où il dévoila entière la noblesse poétique de son âme, que ses gardiens, épouvantés jusqu’au sang de l’action qu’ils avaient commise, délièrent ses membres brisés, se traînèrent à ses genoux, en demandant un pardon qui fut accordé, et s’éloignèrent, avec les marques d’une vénération qui ne s’accorde pas ordinairement aux hommes. Depuis cet événement, dont on parla beaucoup, son secret fut deviné par chacun, mais on paraît l’ignorer, pour ne pas augmenter ses souffrances ; et le gouvernement lui accorde une pension honorable, pour lui faire oublier qu’un instant on voulut l’introduire par force, sans vérification préalable, dans un hospice d’aliénés. Lui, il emploie la moitié de son argent ; le reste, il le donne aux pauvres. Quand il voit un homme et une femme qui se promènent dans quelque allée de platanes, il sent son corps se fendre en deux de bas en haut, et chaque partie nouvelle aller étreindre un des promeneurs ; mais, ce n’est qu’une hallucination, et la raison ne tarde pas à reprendre son empire. C’est pourquoi, il ne mêle sa présence, ni parmi les hommes, ni parmi les femmes ; car, sa pudeur excessive, qui a pris jour dans cette idée qu’il n’est qu’un monstre, l’empêche d’accorder sa sympathie brûlante à qui que ce soit. Il croirait se profaner, et il croirait profaner les autres. Son orgueil lui répète cet axiome : « Que chacun reste dans sa nature. » Son orgueil, ai-je dit, parce qu’il craint qu’en joignant sa vie à un homme ou à une femme, on ne lui reproche tôt ou tard, comme une faute énorme, la conformation de son organisation. Alors, il se retranche dans son amour-propre, offensé par cette supposition impie qui ne vient que de lui, et il persévère à rester seul, au milieu des tourments, et sans consolation. Là, dans un bosquet entouré de fleurs, dort l’hermaphrodite, profondément assoupi sur le gazon, mouillé de ses pleurs. Les oiseaux, éveillés, contemplent avec ravissement cette figure mélancolique, à travers les branches des arbres, et le rossignol ne veut pas faire entendre ses cavatines de cristal. Le bois est devenu auguste comme une tombe, par la présence nocturne de l’hermaphrodite infortuné. Ô voyageur égaré, par ton esprit d’aventure qui t’a fait quitter ton père et ta mère, dès l’âge le plus tendre ; par les souffrances que la soif t’a causées, dans le désert ; par ta patrie que tu cherches peut-être, après avoir longtemps erré, proscrit, dans des contrées étrangères ; par ton coursier, ton fidèle ami, qui a supporté, avec toi, l’exil et l’intempérie des climats que te faisait parcourir ton humeur vagabonde ; par la dignité que donnent à l’homme les voyages sur les terres lointaines et les mers inexplorées, au milieu des glaçons polaires, ou sous l’influence d’un soleil torride, ne touche pas avec ta main, comme avec un frémissement de la brise, ces boucles de cheveux, répandues sur le sol, et qui se mêlent à l’herbe verte. Écarte-toi de plusieurs pas, et tu agiras mieux ainsi. Cette chevelure est sacrée